2025/05/15 – Jacques Ricot dans les pages de La Vie (numéro 4159)


Au Comité de l’Histoire du Lycée Clemenceau, comme d’ailleurs au sein du Comité des Amis et Collègues de Jacques Paris, on trouve des gens de toute croyance et de toute sensibilité, avec des parcours très différents.

 

Et ce dans un respect mutuel qui les honore.

 

 

Au nombre de ces personnalités,

notre ami

et

collègue philosophe

 

Jacques Ricot.

 

 

Le magazine La Vie

(N° 4159; 15 mai 2025)

dresse le portrait de Jacques Ricot

et souligne ses engagements

 

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2025-05-15 Caillavet La Vie papier

 

 

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Bioéthique

Fin de vie : l’amitié inattendue entre Henri Caillavet, défenseur de l’euthanasie, et Jacques Ricot, fervent opposant

Est-il possible de débattre sereinement de la fin de vie ? Alors que l’examen du texte sur le « droit à l’aide à mourir » a débuté lundi et que les discussions s’annoncent vives, l’amitié que se portaient le philosophe engagé dans les soins palliatifs et le président de l’ADMD peut nous inspirer.

Par Pierre Jova

Publié le 15/05/2025 à 10h35, mis à jour le 15/05/2025 à 13h36 • Lecture 8 min.

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Jacques Ricot et Henri Caillavet  • LILIAN CAZABET / HANS LUCAS POUR LA VIE

Pour Olivier Falorni, c’est le combat de toute une vie. Le député de Charente-Maritime veut légaliser « l’aide à mourir » – l’euthanasie et le suicide assisté. Il se revendique dans ce domaine comme l’héritier du sénateur Henri Caillavet, auteur de la première proposition de loi sur l’euthanasie, en 1978, et ancien président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). « Il avait expliqué que le sujet de la fin de vie était une question certes relative à la santé, mais aussi une question éminemment républicaine », affirmait Olivier Falorni au micro de France Culture, le 11 janvier dernier.

Or, peu avant sa mort, en 2013, Henri Caillavet était devenu l’ami du philosophe nantais Jacques Ricot, penseur des soins palliatifs et opposant résolu à l’euthanasie. « C’était un homme de grande culture, qui aimait être poussé dans ses retranchements », témoigne aujourd’hui l’enseignant à la voix douce et au regard clair.

L’histoire de leur amitié improbable débute comme la chanson les Deux Écoles de Michel Sardou : « Dans le Lot-et-Garonne / On bouffait du curé. » Henri Caillavet naît à Agen en 1914, au cœur du Sud-Ouest radical-socialiste dont il aura l’accent chantant. Non baptisé, il est fils et petit-fils de francs-maçons du Grand Orient de France, obédience athée et ancrée à gauche, dans laquelle il est initié à 21 ans. Le jeune homme arpente les sommets pyrénéens pour livrer des armes démontées aux Républicains pendant la guerre civile espagnole. « Nous (…) étions des patriotes défenseurs de la liberté », écrit-il en 2011 dans la revue maçonnique Humanisme.

Résistant, député, maire et sénateur

Résistant, Henri Caillavet est élu député du Lot-et-Garonne en 1946, puis maire de Bourisp (Hautes-Pyrénées) et sénateur de 1967 à 1983. Ce brillant avocat propose de nombreuses lois, comme celle sur le divorce à l’amiable ou sur le don d’organes, adoptée en 1976. Rapporteur de la loi Veil sur l’IVG au Sénat, il milite très tôt pour les droits des homosexuels. « J’ai eu la satisfaction, avec la participation de beaucoup de frères (maçons, ndlr), de faire aboutir au plan législatif des textes de liberté », se félicite-t-il dans Humanisme, impatient de « conclure législativement l’euthanasie ».

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Henri Caillavet (à g.) et l’abbé Françis Tisné (au centre), curé de Saint-Lary, assistent en juillet 2009 à une conférence philosophique donnée par Jacques Ricot à Saint-Lary. À droite, Jacques Perrier, évêque de Tarbes et Lourdes

• Lilian Cazabet / Hans Lucas

Une cause que le Gascon plaide à la tête de l’ADMD, créée en 1980. « La société devrait pouvoir aider à se suicider un individu qui estime avoir fait son temps », réclame-t-il dans Le Point en 2007, date à laquelle il quitte l’ADMD suite à un conflit avec sa nouvelle direction, qu’il juge trop timide – et au détournement de 75 000 euros par une de ses proches collaboratrices.

Jacques Ricot, quant à lui, incarne l’autre partie du refrain de Sardou : « On priait la Madone / Le dimanche en Vendée. » Né dans le bocage vendéen, à Puybelliard, en 1945, et monté à Nantes, où il rencontre son épouse Maryvonne, il passe l’agrégation de philosophie en 1969, tout en militant au Parti socialiste unifié (PSU). « Je suis passé directement de la Jeunesse étudiante chrétienne au PSU », sourit ce fidèle abonné à La Vie, qui est de toutes les luttes contestataires des années 1970. « J’ai eu la chance d’être le secrétaire de Bernard Lambert, figure du syndicalisme paysan. »

Professeur au lycée Clemenceau de Nantes, bientôt chargé de cours à l’université, Jacques Ricot rencontre le mouvement des soins palliatifs en 1992 : « J’avais remplacé un collègue philosophe pour une formation de soignants, à Angers. J’ai découvert des gens qui révolutionnaient le soin, et je me suis immergé dans leur pratique. » Depuis, le Nantais est une des têtes de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, qui puise à la sève de ses ouvrages, comme Penser la fin de vie (Hygée Éditions).

La rencontre

Comment a-t-il rencontré le militant de l’euthanasie ? « Depuis 1968, Maryvonne et moi passons nos vacances en vallée d’Aure, dans les Pyrénées, à Saint-Lary, un village voisin de Bourisp. Nous nous sommes engagés dans la même association : le Festival des petites églises de montagne ! » Les premières présentations sont faites par le curé de la vallée, l’abbé Francis Tisné, qui a accompagné Henri Caillavet à la mort de son fils Hugues.

Le Nantais n’a pas une très bonne image de ce Gascon qui chapeautait, dans les années 1980, l’Association pour la prévention de l’enfance handicapée, prônant l’euthanasie des nouveau-nés infirmes. « Pouvez-vous dire que cet enfant débile profond sera heureux alors qu’il ne peut vivre qu’en dépendant des autres ? », déclare Henri Caillavet à La Vie, en 1988, en ajoutant : « Pour moi, l’homme n’a de grandeur que par sa raison. » Nommé au Comité consultatif national d’éthique, il persiste lors de l’affaire Perruche, procès relatif à l’indemnisation d’un enfant « du préjudice d’être né » handicapé, en 2001 : « Permettre à un enfant handicapé de venir au monde est une faute parentale et peut être même le témoignage d’un égoïsme démesuré. » Un raisonnement « barbare », dénonce Jacques Ricot dans son livre Philosophie et fin de vie (Hygée Éditions, 2003)…

Mais la véritable rencontre a lieu en 2007, chez un médecin franc-maçon de la vallée. « Ce fut un grand moment d’échange ! Le terrain d’entente était notre passion commune pour la philosophie. Il avait été disciple de Vladimir Jankélévitch à Toulouse, dont j’avais suivi les cours à la Sorbonne. » Suivent d’agréables conversations. « Il était à la fois dans l’affirmation dogmatique et la tolérance, ce qui rendait difficile l’argumentation serrée. Il m’a accordé cependant le mésusage du mot “dignité” : il parlait toujours de la “tunique de dignité“ recouvrant les hommes. Je répondais que la dignité n’est pas un vêtement qu’on peut enlever, mais qu’elle est intrinsèque à l’homme. »

Le Gascon aime raconter la IVe République, qui l’a brièvement fait ministre. Le Nantais est fasciné par la rencontre de son hôte avec le grand Georges Clemenceau. L’aîné assiste aux conférences philosophiques données l’été par son cadet à Saint-Lary, au point de l’inviter à parler dans sa loge de Neuilly-sur-Seine.

L’assassinat du père

« Chaque fois que nous discutions, confie Jacques Ricot, il revenait à l’assassinat de son père. » Forte personnalité que Jean Caillavet, franc-maçon, héros de 14-18 et vétéran du Front populaire. Dans sa préface au pamphlet Mourir dans la dignité (2000), le Gascon avoue avoir tué le patriarche, qui n’était ni malade, ni en fin de vie : « Il refusait les premières atteintes de l’âge – très légère perte de mémoire, nécessité d’un jonc pour faciliter sa marche –, lesquelles, à la longue, risquaient de déboucher sur un délabrement ! Or, notre père ne voulait surtout pas laisser l’image d’un vieillard impotent, sénile. » Henri Caillavet et son frère pharmacien cèdent à la demande de mort paternelle, s’attirant cette ultime parole : « Mes petits, j’étais assuré que vous m’aimiez très fort. »

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C’est dans la vallée d’Aure où il séjourne depuis 1968 que Jacques Ricot a rencontré Henri Cavaillet, décédé en 2013 dans son village de Boursip

• Lilian Cazabet / Hans Lucas pour La Vie

Le sénateur mettra 15 ans à l’avouer à son épouse. « Je n’ai jamais pu m’empêcher de penser que s’il avait autant milité, c’était pour légitimer cette transgression inouïe, estime son ami nantais. Il insistait pour me faire parler du pardon. Il était hanté par ce geste, qu’il n’aurait pas pu faire pour sa mère, et regrettait d’avoir délaissé son père pour sa vie professionnelle. Toutefois, sa carapace publique n’a pas bougé sur ce sujet. »

Henri Cavaillet meurt le 27 février 2013 à Bourisp, à 99 ans. « Élevé dans le conflit entre l’Église et la gauche progressiste, il ne connaissait pas le christianisme de Maritain et de Mounier. Notre amitié, l’abbé Tisné et le baptême de ses arrière-petites-filles lui ont montré un autre visage. Il avait fini par douter de l’inexistence de Dieu. Quand son fils François m’a introduit dans la chambre funéraire, il m’a dit : “Maintenant, il sait !” »

Le combat de l’ADMD continue

Douze ans plus tard, son combat se poursuit. L’ADMD est désormais plus proche du show-business que du Grand Orient, mais ce lien a été réactivé à la fin des années 2010 par le député macroniste Jean-Louis Touraine, qui a passé le relais à Olivier Falorni. « Henri Caillavet est un inspirateur, mais mon rôle est bien plus modeste », nous assure l’ancien élu lyonnais, travaillant déjà en coulisses à élargir la future loi. « Une fois que l’on aura mis le pied dans la porte, il faudra revenir tous les ans et dire : on veut étendre ça », a-t-il soufflé à l’association pro-euthanasie Le Choix, en 2024.

L’ADMD poursuit le même but, derrière un discours de façade. « Nous devrons accepter des concessions qui ne seront que temporaires, transitoires, a-t-elle exhorté ses adhérents par courriel en 2022. Car dès lors que le principe même de l’aide active (à mourir, ndlr) aura été voté, le front des antichoix aura été brisé, et nous pourrons enfin avancer rapidement et faire évoluer la loi vers ce que nous souhaitons tous : une loi du libre choix qui ne comporte aucune obligation pour quiconque. » Henri Caillavet, lui, avait le mérite d’être transparent.

Du reste, peu de ses successeurs ont son niveau intellectuel, mis à part Jean-Luc Mélenchon, qui a fait de l’euthanasie une cause personnelle. « C’est un droit de se posséder soi-même », déclarait-il en 2022. « Il est troublant que des gens se réclamant du socialisme adoptent la logique ultralibérale, selon laquelle ce que je fais de moi n’a aucune répercussion sur le corps social !, s’étonne Jacques Ricot. Contrairement à une partie de la gauche britannique, ils voient comme une émancipation, ce qui va déstructurer la notion de soin et menacer les plus précaires. Caillavet avait la chance d’être riche : il est mort à domicile, entouré par un personnel à son chevet. »

Un privilège que n’avait pas Joke Mariman, Belge handicapée par la maladie d’Ehlers-Danlos, euthanasiée en 2023 après avoir vainement obtenu une meilleure pension de l’État. Ni Normand Meunier, camionneur québécois rendu tétraplégique par son travail, si mal soigné à l’hôpital qu’il demande l’euthanasie, en 2024. « Si le suicide devient un droit impliquant la société, comment le prévenir ? Comment pouvoir dire “Tu comptes pour nous, nous allons te soutenir jusqu’au bout” ? Le clivage entre l’Église et la libre-pensée, qui structurait la vie de Caillavet, ne tient plus : ce ne sont pas d’abord des chrétiens qui se révoltent contre la loi à venir, mais des soignants et des personnes handicapées. »

Malgré leurs divergences, le Nantais et le Gascon ont mené une conversation telle que la France n’en voit plus : empreinte de culture et de politesse, loyale, refusant de réduire les êtres à leurs opinions. « J’ai rencontré un homme dans toute sa complexité, pas des positions », explique Jacques Ricot, sur un ton plein de tendresse. Par honnêteté, il refuse d’adhérer à l’association Les Amis d’Henri Caillavet. « Je fais partie des amis de votre père, je le crois, mais d’une autre forme d’amitié que celle des idées », écrit-il à son fils François, le 23 décembre 2013. L’été suivant, la conférence estivale du philosophe à Saint-Lary portait sur l’amitié. Elle fut dédiée à Henri Caillavet.

Le calendrier
Les deux propositions de loi distinctes relatives « aux soins palliatifs et à l’accompagnement » et « au droit à l’aide à mourir » sont débattues du 12 mai au 23 mai en séance publique à l’Assemblée nationale, portée par la députée Annie Vidal (Ensemble pour la République) pour les soins palliatifs et par Olivier Falorni (Les Démocrates) pour l’aide à mourir. Après une première séance lundi 12 mai, consacrée à une discussion générale sur les deux textes, l’examen article par article a débuté. Si la proposition sur les soins palliatifs suscite un large consensus, celle sur l’euthanasie et le suicide divise. 2 600 amendements ont été déposés pour modifier le texte élaboré en commission. Le vote solennel est prévu le 27 mai, avec deux votes distincts sur les deux textes.

 

 

Georges remercie

chaleureusement son correspondant

qui lui a signalé l’article autour de notre ami commun