Né en 1930 : Michel Chaillou


L’écrivain Michel Chaillou

est un ancien élève du lycée.

 

Il est revenu au lycée en 2006 le temps d’une conférence très suivie.

 

Michel Chaillou au lycée 20 avril-6

Au lycée, le 20 avril 2006

Photo Jean-Louis Bailly

Quelques raisons de lire Michel Chaillou

 

par Jean-Louis Bailly

 

Je voudrais donner, à ceux d’entre vous qui ne l’ont pas encore fait, quelques raisons de lire Michel Chaillou, et plus particulièrement ce beau livre dont on a beaucoup parlé lors de sa sortie voilà deux ans : 1945.

1945

 

 

D’abord de mauvaises raisons, ou des raisons insuffisantes. Quand vous lirez ce livre, vous y rencontrerez des lieux qui vous sont familiers : la Place Royale, la rue de l’Arche Sèche, la rue Lorette-de-la-Refoulais et le quartier même où nous nous trouvons en ce moment, près de la Gare et du Jardin des Plantes. À ceux, et je sais qu’il en est parmi vous, qui connaissent et aiment le Golfe du Morbihan sont réservées d’autres rencontres du même ordre. Notre plaisir alors, et pourquoi le bouder, est de savourer le statut neuf accordé à des lieux que nous connaissons par cœur et que nous ne savons plus voir : cette sorte de majesté que leur apporte l’élection par un artiste, qui lave notre regard comme  si on avait pour nous reverni le tableau. Et nous voilà, naïvement, devenus personnages du livre : cette foule, ces inconnus qui le peuplent, nous en sommes… Mais enfin, avouons-le, ces motifs restent minces et ne dépassent guère l’anecdote.

 

 

Ce livre, il faut le lire ensuite pour le concentré d’humanité qu’il nous offre. Michel Chaillou, qui a le cœur aussi vaste que le talent, excelle à rendre présents les beaux personnages qu’il a connus et aimés. Ce familier des poètes insoumis du premier XVIIème siècle ne nous cache pas vers qui vont ses inclinations : les marginaux, les errants, les instables, les irréguliers, ceux qui battent leurs propres sentiers, qui aiment à tout vent, qui aiment la musique, les grands chemins, la mer et les livres, et qui aiment aimer. Vous n’oublierez pas, longtemps après avoir refermé 1945, l’oncle boiteux, mais si léger quand il chevauche les notes de sa guitare, les grands-parents humbles et magnifiques, ou cette autre grand-mère qui pousse la goualante et taquine la fillette, que la société réprouve hautement et qui s’en fout. Quant aux rangés, aux assis, aux confits dans les certitudes, aux faiseurs de morale et donneurs de leçons, ils ne sont là que comme les points fixes, ou les corps morts, par rapport auxquels se lit la course des autres, leur bougeotte si vive. Deux personnages se détachent, bien sûr, de cet ensemble grouillant, comme dans d’autres livres de Michel Chaillou : celui de la toute jeune mère, femme fatale, femme enfant, « composé d’enfance aux yeux noirs intraitables de beauté », d’un charme à quoi nul ne résiste – et surtout pas elle-même, qui ne se lasse pas d’en éprouver les pouvoirs, dût-elle s’y brûler. Et celui d’un adolescent, son fils, pris – comme on dit – dans la « tourmente de l’Histoire », et qui tantôt la survole grâce aux pouvoirs de l’imaginaire, tantôt se plonge sans trop de mal dans un temps dont les désordres s’accordent avec son appétit d’imprévu, tantôt subit de plein fouet la cruauté des adultes et voudrait mourir. Cet adolescent a attendu 60 ans pour écrire ce qu’il a vécu alors ; il est présent devant nous ce matin.

 

 

Enfin, découvrir Michel Chaillou sera découvrir une écriture étonnante. Car Michel Chaillou n’écrit pas ses livres en français : il les écrit en Chaillou. Une langue baroque, frénétique et ciselée, usant de toutes les ressources de la rhétorique et que l’on pourrait raconter en grec : hypallages, hypotyposes, paronymies et zeugmas y mènent un sabbat d’une inépuisable énergie… Découvrant 1945, j’avais très sottement regretté que ce déploiement d’une langue à tout moment soucieuse de repousser ses propres limites se fît parfois au détriment de l’émotion que le sujet du livre – grave, dur – inspire par ailleurs. Je n’avais rien compris. Je ne cherchais Michel Chaillou que dans le personnage qu’il racontait, sans voir qu’il était d’abord, qu’il était surtout dans son écriture, dans la langue qu’il s’est forgée : s’il crée des mots, c’est que jamais il n’a pu se satisfaire de ceux qu’il a trouvés tout faits dans des livres qu’au reste il a découverts tard ; s’il use avec délectation de l’hypallage (cette figure qui me ferait dire que je parle devant « cent vingt fauteuils impatients » – mais rassurez-vous, j’en termine), si par exemple il parle, lui, du « ciel déculotté au-dessus des cabinets » (La Croyance des voleurs), c’est que son enveloppe est décidément trop étroite et qu’il faut bien associer à ce qu’il vit la terre entière ; s’il fait cavalcader et rebondir les mots, comme mus par la seule force de leurs sonorités, c’est qu’il est de la race des jongleurs, des bohémiens, de ceux qu’on appelait jadis des Égyptiens, et qu’il vénère dans l’exacte mesure où les bien-pensants les réprouvent. Un titre de Michel Chaillou, celui du livre qu’il a consacré à Mirabeau, semble décrire l’écrivain qu’il est : un « Matamore ébouriffé ». Matamore, non pour le ridicule du personnage de Corneille, bien sûr, mais parce que Matamore se crée, dans le langage, un univers à la mesure de ses rêves, où se réfugier devant la médiocrité du monde. « Ébouriffé », parce que la chevelure de Michel Chaillou (plus d’une fois évoquée dans ses livres !)  est touffue comme le langage qu’il porte, rebelle à la loi du peigne et insolemment dressée contre toute forme d’oppression – entendez de gel ou de gomina – en deux mots, aussi libre et féconde que son écriture.

 

 

Voilà pourquoi vous vous précipiterez tout à l’heure chez votre libraire acheter un livre de Michel Chaillou : pour voir ce qu’est la liberté quand elle irrigue une vie et une œuvre ; pour vous convaincre que, si on le veut ainsi, 60 années ne viennent pas à bout d’une adolescence qui résiste ; et que si l’on aime bouger, voyager, courir à perdre souffle, l’écriture reste un formidable terrain de sport et d’aventure.

 

Présentation de Michel Chaillou

par

Jean-Louis Bailly

Professeur de lettres au lycée

prononcée salle Thomas Narcejac

le 20 avril 2006