Né en 1911 : Morvan Lebesque (Maurice Lebesque)


Livre du Bicentenaire (Coiffard, 2008)

200 ans d'histoire - copie

L’Anthologie

Auteur : Joël Barreau

 

 

 

 

Morvan Lebesque

 

Morvan Lebesque 28-29 Philo

 

Maurice Lebesque (qui remplacera plus tard son prénom Maurice par le celtique Morvan) est né à Nantes en 1911.

Il entra au lycée en classe de neuvième, en 1919, et y fit toute sa scolarité jusqu’en classe de philosophie. D’un an plus jeune que Julien Gracq, il fréquenta donc le lycée à la même époque que celui-ci : « Qui m’eût dit qu’un sage pensionnaire que je croisais chaque jour en sarrau gris dans les couloirs deviendrait Julien Gracq ? »

 

Romancier (Soldats sans espoir), auteur dramatique (La découverte du Nouveau-Monde, Les fiancés de la Seine…), critique littéraire (Camus par lui-même dans la collection Écrivains de toujours), Morvan Lebesque est surtout connu pour avoir été le chroniqueur politique du Canard Enchaîné à partir de 1952 ainsi que l’auteur du livre Comment peut-on être breton ?, qui parut l’année même de sa mort, en 1970.

Morvan LebesqueLebesque Breton

 

C’est précisément dans cet ouvrage que Morvan Lebesque nous raconte deux scènes de sa vie de lycéen, de lycéen boursier dont le père était « un petit commerçant avec une charrette à âne qui vendait en demi-gros des bocaux de bonbons, des rouleaux de réglisse et ces petites loteries à deux sous qu’on tirait alors dans les boutiques et qu’on appelait des tombolas ».

 

 

 

Le premier texte se réfère précisément à son origine sociale (Comment peut-on être breton ?, p. 21) :

 

A l’âge de quatorze ans, mes sentiments politiques s’éveillèrent : je me découvris le cœur à gauche. Maintes raisons commandèrent ce choix, mais la principale, le fait que j’étais affreusement pauvre et élève-boursier au lycée de Nantes. A cette époque, la bourgeoisie provinciale tolérait assez mal l’accession des pauvres aux études : de certains pauvres du moins, ceux qui l’étaient un peu trop ou sans grâce. Cette répugnance provoqua un incident qui de nos jours paraîtra, je l’espère, incroyable. Un soir, notre professeur de latin, M.P…, me demanda de rester après la classe et, toutes portes closes, me tint un petit discours pour m’exhorter à quitter le lycée. « Mon cher enfant, me dit-il, vous voyez bien que vous n’êtes pas ici à votre place. Qu’attendez-vous, que vos petits camarades vous fassent un affront ? Que diable, il n’y a pas de honte à être un ouvrier ! » Paroles d’oracles : je m’incrustai sur ces bancs hostiles et m’inscrivis le lendemain aux Jeunesses républicaines.

 

 

Quelques pages plus loin, il nous raconte comment il prit un jour conscience de ses origines bretonnes, comment il se passionna dès lors pour l’histoire de la Bretagne et sa littérature et comment de cette passion naquit en lui celle de l’écriture (Comment peut-on être breton ?, p. 30-31) :

 

Brutalement, je reçus la faculté d’écrire. Entraînement banal de mes lectures ? Non : je lisais beaucoup, en tout cas pour mon âge, et ni Balzac ni Flaubert, pas même Hugo que je devinais d’une famille plus proche n’avaient réussi, en s’y mettant tous, à faire de moi mieux qu’un écolier médiocre ahanant sur de plates copies. Or mon esprit, soudain, se délia. Comme on s’éveille d’un cauchemar de paralysie, je libérai le mouvement des mots ; mon œil, frappé d’images nouvelles, inventa des couleurs ; du breton que j’apprenais au passage, je retins la musique que favorisent dans cette langue l’emploi des mutations (l’initiale du mot change selon celui qui le précède, créant des euphonies subtiles), la richesse des mots composés, la syntaxe merveilleusement agile bondissant au-devant de la pensée, idéale terre d’accueil de l’inexprimable, à quoi je pliai de mon mieux la roide syntaxe française, sujet-verbe-complément. De tout cela, il résulta un incident cocasse. Un jour, on m’appela chez le censeur : mon professeur m’y attendait, ma dernière composition à la main. « Où l’avez-vous copiée ? » me demanda-t-il d’une voix tonnante. Je protestai, on me mit à l’épreuve : enfermé dans le bureau, je dus improviser sur un autre sujet, sous la surveillance d’un pion. J’écrivis, j’écrivis, il fallut m’arrêter… Pendant des mois, on m’accusa encore vaguement de tricherie ; enfin, on se résigna et dès lors, je fus constamment premier, lauréat du Concours général. Qu’on excuse ce récit un peu long : à la même époque, le ministre de Monzie déclarait, à l’occasion d’une inauguration officielle : « Dans l’intérêt du français, la langue bretonne doit disparaître. » Moi, c’est grâce au breton que j’écris en français.

 

 

– Sur la vie et l’œuvre de Morvan Lebesque, voir dans « Julien / Biographies » la notice biographique qui lui est consacrée.