2019/01/10 – Esther Senot, rescapée d’Auschwitz, témoigne à Clemenceau


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Esther Senot, 91 ans, rescapée d’Auschwitz.

Ouest-France

 

« Le message d’Esther Senot, rescapée de l’enfer »

par Philippe Gambert

Ouest-France (Edition du vendredi 11 janvier 2019)

 

« Pendant deux heures et demie, hier, Esther Senot, déportée à Auschwitz en 1943, a témoigné devant 175 lycéens et collégiens nantais. Avec un mot d’ordre : « Faites preuve de tolérance ! »

Reportage

Regroupés autour d’Esther Senot, 91 ans, des élèves du lycée Clemenceau et du collège Debussy, à Nantes, veulent voir le numéro. Esther remonte sa manche. Apparaissent les chiffres gravés dans sa chair : 58 319. « Ce numéro a beaucoup intrigué les gens qui le voyaient l’été. On me demandait si c’était mon numéro de téléphone, un numéro de loterie. Ou même si c’était mon groupe sanguin », raconte-elle à un petit groupe.

Quelques minutes avant, un autre élève lui avait demandé de dire ce fameux numéro. Elle l’avait prononcé dans trois langues : français, allemand, polonais…

« Droit à la différence »

Pendant plus de deux heures, Esther Senot a témoigné, raconté sa déportation à Auschwitz-Birkenau, le camp d’extermination. Pour faire œuvre de passeuse. Pour que parmi les 175 jeunes présents hier au lycée Clemenceau, « ceux qui se sentent concernés » portent ses paroles. « Nous ne sommes plus qu’une poignée de survivants. C’est à vous les enfants que je m’adresse. Lorsqu’on n’aime pas son voisin parce qu’il n’est pas tout à fait comme soi, cela s’appelle du racisme. Racisme qui a conduit à la déportation, aux pires horreurs. Je compte sur vous pour que vous puissiez faire preuve de tolérance et que vous reconnaissiez le droit à la différence. Le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie sont à nouveau très virulents en ce moment en France. »

Assise le dos bien droit, sur une chaise devant une table, sur l’estrade de la grande salle de conférence, elle a rappelé les faits en les replaçant dans leur contexte historique. Sans pathos.

Sa famille s’est installée en France six mois après sa naissance, en 1928, fuyant les difficultés économiques de la Pologne et l’antisémitisme.

Ses mots sont cliniques. Quand la France est tombée sous la botte des Nazis, c’est le gouvernement français de Vichy qui a organisé la politique antijuive, rappelle-t-elle : « Les arrestations étaient faites par la police et les forces de l’ordre françaises. »

Sa famille a été prise dans la rafle du Vel-d’hiv, en juillet 1942. Esther Senot y a échappé car elle s’était absentée pour quelques heures du domicile ce jour-là. Se retrouvant seule, à 14 ans, elle est parvenue en zone libre pour y rejoindre un de ses frères… Après avoir traversé, seule, la nuit, une forêt.

« Nous sommes entrés en enfer »

Mais une fois toute la France occupée par les Allemands (et les Italiens au sud-est), elle est revenue à Paris, où elle a été arrêtée. Elle sera déportée début septembre 1943.

Après trois jours d’un terrible voyage, entassés dans des wagons à bestiaux, « nous sommes entrés en enfer. Il y avait cette fumée, ces odeurs, les cadavres par terre. Les SS et leurs chiens qui couraient derrière des squelettes ambulants. On a vite appris. À Auschwitz-Birkenau, vous entrez par la porte, mais vous en ressortez par la cheminée. Les Nazis nous désignaient sous le nom de stück, ce qui signifie morceau en allemand. »

Esther y a survécu. La seule de sa famille : « J’y ai perdu une vingtaine de proches ».

Ce qui l’a maintenue en vie ? « À 15 ans, on ne veut pas mourir ». Mais, dit-elle aussi, « au printemps 45, à l’issue d’une marche de la mort, d’un camp à un autre, de la Pologne à l’Autriche, en passant par l’Allemagne et la Tchécoslovaquie, je voulais lâcher. Tous les jours d’autres déportés s’écroulaient sur le sol et étaient achevés d’une balle dans la nuque par les Allemands. J’avais renoncé. C’est mon amie déportée Marie qui m’a permis de garder un souffle de vie. »

« Personne ne voulait nous croire »

À son rapatriement en France, elle ne pèse que 32 kg ! Le retour est difficile. Elle est seule à Paris : « À l’époque, il n’y avait pas de cellule psychologique. Personne ne voulait nous croire. On nous culpabilisait d’avoir survécu. Dans l’après-guerre, nous étions les oubliés de l’Histoire. »

Esther Senot fait une dépression sévère qui la conduit à l’hôpital, mais elle se relève « Je suis devenu vendeuse dans une maison de couture. Je me suis mariée. J’ai trois fils, six petits-enfants, six arrière-petits-enfants. » Elle en est heureuse. »

Philippe GAMBERT.