2017/10/07 – Rencontre : Balade nantaise au fil du nouveau livre de Marie-Hélène Prouteau


Flyer Marie-Hélène Prouteau

 

 

 

MHP Rencontre octobre 2017

 

MHP La Ville aux Maisons qui penchent

 

Chez les libraires depuis la fin septembre

La ville aux maisons qui penchent

où le lycée Clemenceau est présent,

notamment au travers 

de deux de ses anciens élèves,

Julien Gracq et Michel Chaillou

 

Extrait du chapitre « L’Eveil »

 » C’est une ville de pierres blanches. Cette couleur en majesté semble vêtir le cœur de Nantes d’une quiétude rare. L’Eglise Saint-Nicolas, le Théâtre Graslin, la Cathédrale, l’ancien Palais de justice, les vieux hôtels du quai Turenne aux murs ravalés se tiennent dans l’immobilité paisible d’une ville zen, sommeillant derrière ces écrins de pierre claire. On pourrait croire que le grand heurt de la vie est passé au loin.

Nous voici sur l’esplanade. Drapeaux au vent sous le soleil, le Château semble revivre. Un roller passe à toute vitesse. Comment ne pas penser à l’aquarelle de William Turner, Nantes Cathédrale et Château ? Des camaïeux de beige, de rose sur des tonnes de blanc y transfigurent le lieu et font de la Cathédrale un sémaphore de céruse. Captée par le peintre, une lumière s’invente dans la patine du tuffeau. Oriflammes et voilures sous le soleil, elle semble couler en spirales fluides et mouillées. On dirait que le temps s’est arrêté.

Un peu plus loin, dans le square Elisa Mercoeur, le monstre marin de Kinya Maruyama. Quelques pigeons clopinent tranquillement. Le trottoir, l’asphalte viennent de disparaître comme en songe. Une autre effervescence se prépare. Le flot des piétons n’est plus celui du tramway et du Chronobus mais celui des voyageurs d’hier qui attendent le bateau à vapeur. Avant que ne soient comblés les bras du fleuve. Dans cette ville, le passé ne cesse de colorer le présent. Nantes est coutumière de ces visions où les choses s’étirent, s’allongent en captures d’écran.

Dans les gabares à quai, on charge et on décharge. Par moments viennent à nous les cris des bateliers sur la Loire. Le Château, miraculeusement, a retrouvé son lit d’eau qui bat les flancs des remparts. Sur le quai, corsages de percale et costumes de drap se frôlent. Des regards, un rendez-vous amoureux ? La jeunesse ne prend jamais de rides. Rire d’un enfant aux joues bien rouges. Une vieille dame serre contre elle un bouquet de fleurs. Est-ce hier, est-ce aujourd’hui ? Deux cents ans plus tard, les trajets dans la ville retrouvent la trace de l’ancienne voie d’eau. Ces passagers qui se précipitent pour saisir la correspondance ne sont-ils pas les voyageurs du bateau à vapeur qui part pour Ancenis ?

Ne vivent-ils pas en nous, ces gens emplis de souffles aimants ou de larmes qui se sont affairés ici ? N’oublions-nous pas que nous sommes faits d’un peu de ce qu’ils furent ? Des fils invisibles nous relient à eux. Il faut se laisser appeler par ces êtres que l’on n’a pas connus.

Le cheminement se fait naturellement des douves du Château jusqu’à la place Marc Elder. Il y a soudain comme une vibration dans les pierres du tuffeau, quand on lève les yeux vers les fenêtres. Derrière l’une d’elles, un enfant s’est approché pour voir. C’est un petit réfugié juif, de douze ans. Le soleil de fin de matinée, ce 19 juin, illumine l’infinie blancheur de la pierre. Devant le pont-levis, quatre hommes sont descendus de leur moto. Ils ont les bras de chemise relevés. Il flotte comme un air de vacances. L’enfant, pourtant, a froid. Plus un bruit dans la ville. On dirait qu’elle retient son souffle. L’éclat du soleil sur la mitraillette en bandoulière des soldats allemands se plante dans son cœur. Quelque chose se déchire en lui. C’est alors qu’il entend leur rire. L’enfant comprend. Avec ce rire, commence le temps des loups.

Du temps passera. Bien plus tard, il reviendra dans cette ville. Invité à l’occasion du bicentenaire du lycée Clemenceau où il fut élève. Quand il évoquera l’entrée des Allemands dans Nantes, à nouveau, il éprouvera ce froid. Eblouis, sans perdre une de ses paroles, nous écouterons Robert Badinter.

C’est une ville de pierres blanches tranchées au fer. »