Sciences physiques et chimie


L’énergie retrouvée

de la machine de Gramme

 

par

 

Jean-Paul Bouchoux

ancien professeur de Sciences-Physiques

en CPGE

au Lycée Clemenceau

 

 

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Parmi les collègues qui ont exploré cette « cave aux trésors », aucun n’avait entendu parler de l’existence d’une antique dynamo de Gramme au lycée, mais les registres de laboratoires mentionnaient effectivement la présence d’une telle machine au lycée de Nantes dès 1880, ce qui nous parut extraordinaire quand on sait que son inventeur ne l’a mise au point qu’en 1871…On décida donc de tout faire pour la remettre en état, ce qui ne paraissait pas gagné d’avance puisque l’ensemble était complè­tement grippé.Couverte de poussière et totalement oxydée nous l’avons découverte en 2007 dans une cave du lycée Clemenceau à la réputation sulfureuse, à mi-chemin entre la « caverne d’Ali-Baba » et la « chambre de Barbe-Bleue ». Elle était à moitié cachée derrière un fatras de caisses, tubes et vestiges d’appareils hétéroclites. Sa taille (environ 50 cm de hauteur), sa masse surprenante de plus de 40 kg nous ont immédiatement fait comprendre que nous tenions là une pièce de collection particulièrement intéressante.

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Un ensemble de collègues scientifiques à la retraite se sont attelés à la tâche en démontant, net­toyant et remontant le tout après avoir graissé les paliers (photo ci-dessus : Michel L’Excellent et Jean-Louis Leblanc en action). Nous avons alors vu émerger la beauté des laitons ainsi que la teinte caractéristique des aciers et des fontes débarrassés de la rouille et nous avons eu la surprise de découvrir une plaque gravée et numérotée qui attestait de l’authenticité de la machine.

L’inscription sur la plaque d’identité ci-dessous  mentionne :

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                           B S.G.D.G. (Breveté Sans Garantie du Gouvernement)               

MON BRÉGUET FT (Maison Bréguet fabricant)

N° 829

Un petit tour sur Internet nous permit de découvrir quelques autres specimens de cette machine, parfois remarquablement conservés dans différents lycées, et possédant également une plaque gravée caractéristique. Par exemple, celle du lycée Saint-Louis à Paris possède une plaque en tout point similaire, mais avec le N° 817.

Cependant, la plupart des machines qu’il nous a été donné de voir ont un aimant en U et non un aimant de type « Jamin » (ovoïde) comme la nôtre. Monsieur Lebreton (un expert angevin contacté par notre collègue Catherine Genestoux) nous a confirmé que l’aimant « Jamin » était beaucoup moins fréquent. Les deux photos ci-dessous montrent la nette différence d’aspect entre ces deux types d’aimants

                                                                                                                                                                 La machine du lycée Molière (Paris)

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 Sur les deux clichés on devine les frotteurs, ou balais, qui  recueillent le courant électrique au contact du collecteur. Ce collecteur est la pièce essentielle qui permit à Zénobe Gramme (physicien Belge) d’obtenir une tension continue à partir d’un mouvement rotatif générant à l’origine un signal alternatif. Les frotteurs sont formés ici de tresses de fils de cuivre

 on les voit ci-contre     foto6jp1       encore oxydés malgré un nettoyage intensif.

Plus tard ces balais seront remplacés par des charbons conducteurs assurant un contact électrique de meilleure qualité.

          L’aspect esthétique était une première étape mais bien entendu, notre secret espoir était de voir fonctionner la dynamo. La manivelle permettait de faire tourner très facilement l’ensemble : dès le premier essai, un voltmètre branché en sortie afficha une tension de plus de 20 volts. Nous n’étions pas peu fiers : nous avions ressuscité une vieille dame de plus de 120 ans et pour peu que nous restions suffisamment vigoureux, elle était prête à nous fournir son énergie sans faiblir !

 La présence d’une poulie nous intriguait. Etait-elle prévue pour entraîner un mécanisme adjacent à l’aide d’une courroie ? Nous avons donc voulu tester la réversibilité de cette machine car la théorie est claire : si on lui applique une tension continue, la machine doit fonctionner en moteur.

L’expérience eut lieu au laboratoire de sciences physiques en présence de Monsieur le Pro­vi­seur François Pilet : dès que la tension d’entrée dépassa 1,8 volt, le volant et la poulie se mirent à tourner ;

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pour une tension de 7 volts et une inten­sité dans la bobine de 0,8 ampère, le mouvement était régulier à plus de 40 tours par minute.

Ce fut un grand moment et une véritable émotion, que nous allions ensuite faire partager à toute l’équipe du Comité de l’Histoire du Lycée Clemenceau, réunie en assemblée générale le 8 mars 2008 (photo ci-dessous).

 

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La machine de Gramme fut ensuite exposée dès le 1er avril 2008 dans le parloir avec no­tamment les grandes machines de Morin (sur la chute libre) et de Ramsden (électrostatique) lors de la commémoration officielle du bicentenaire du lycée ; ce fut également une des pièces maîtresses de l’exposition de septembre 2008.

Il est à noter que la dynamo et le moteur électrique étant au programme de certaines classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques, la machine de Gramme restaurée est redevenue un outil pédagogique utilisé en cours : il ne s’agit donc pas seulement d’une pièce de musée.

Jean-Paul BOUCHOUX