Livre du Bicentenaire (Coiffard, 2008)
Extrait : Etude / L’architecture du Lycée Clemenceau
Auteur : Axel Sourisseau, diplômé en histoire de l’art
D’anciens bâtiments ecclésiastiques pour une institution impériale.
Lorsqu’on décide de créer un lycée à Nantes, en Septembre 1803, les autorités choisissent de le placer dans l’ancien couvent des Ursulines et l’ancien Séminaire, seulement séparés par la ruelle St-François. Le premier, construit à partir de 1628, soit un an après l’arrivée des Ursulines à Nantes, suit le plan du Monastère de l’ordre à Laval établit par l’architecte Etienne Corbineau vers 1623. Trois ailes principales entourent un cloître fermé sur le quatrième côté par deux petites ailes encadrant un portail d’entrée. L’église de cette première construction sera remplacée en 1744 par une nouvelle, à l’est, dont la première pierre est solennellement posée le 13 mai. Son plan en équerre paraît de prime abord atypique, or il cache deux nécessités fonctionnelles : le bras parallèle au portail d’entrée du couvent est ouvert à son extrémité sur la rue, permettant l’entrée des fidèles pour la messe du quartier, et constitue la chapelle « publique » ; le second bras, perpendiculaire au précédent, étant réservé aux religieuses qui peuvent y avoir accès depuis leur cloître. En ce qui concerne le Séminaire, il sera établi en 1642 sur un terrain acheté par l’évêque de Nantes Mgr Gabriel de Beauveau et qui avait auparavant appartenu aux Ursulines. Elles l’avaient perdu en 1634 à l’issue d’une querelle provoquée (et gagnée !) par les voisins Pères Minimes. Ce Séminaire, alors le premier du diocèse, sera reconstruit dans la seconde moitié des années 1690 sur ordre de Mgr Couprie de Fougères, archidiacre de la Mée.
Un lycée aux locaux inadaptés : à la recherche de solutions.
Voilà donc les locaux dans lesquels s’installe le « vieux lycée ». On imagine très bien néanmoins qu’il fallut les remettre en état avant de pouvoir accueillir quelque élève que ce soit : cela est d’autant plus compréhensible que les deux bâtiments avaient servis pendant la période révolutionnaire, après expulsion de leurs occupants en 1792, de caserne, puis d’hôpital militaire (dits « de l’Égalité » pour le couvent, « de la Fraternité » pour le Séminaire), et enfin d’École Centrale. On commence donc les travaux promptement, mais des ralentissements puis des interruptions, aléas de l’administration, reportent d’abord l’ouverture d’octobre 1804 au 1er janvier 1807, puis de cette dernière date au 1er septembre 1807. Et ce n’est finalement que le 1er avril de l’année suivante que le « lycée impérial » est fièrement ouvert, dans des locaux dits « neufs ». On a globalement gardé la structure originelle des deux ensembles précédents, tant au niveau du plan que des élévations : l’ancien cloître, avec sa galerie couverte à arcades au rez-de-chaussée, est clairement perceptible dans la cour d’honneur.
Dès l’année scolaire 1813-1814, on réaménage les locaux, trop petits, pour permettre l’accueil d’un nombre d’élèves plus important. De multiples remaniements seront effectués tout au long des décennies suivantes, l’effondrement du plancher de la lingerie au début des années 1840 demeurant le point de départ de nouveaux travaux, d’abord de ravalement, puis de constructions. Se pose ensuite à partir de 1855 la question du percement d’une rue nouvelle, la rue de Flore (actuelle rue Stanislas Baudry), traversant au départ un terrain appartenant au lycée. Ce percement fera l’objet d’un accord entre l’établissement et la municipalité : celle-ci autorise entres autres la suppression de la ruelle Saint-François qui séparait jusqu’ici les deux parties de l’établissement nantais. Lorsque, vingt ans plus tard, la ville projette à nouveau un alignement, cette fois de la rue du Lycée (actuelle rue Clemenceau), l’administration de ce dernier y voit l’occasion d’envisager de sérieux changements architecturaux. Car malgré les aménagements, les agrandissements successifs, le « vieux lycée » demeure profondément inadapté à sa fonction. « Les locaux sont obscurs ; les couloirs mal greffés les uns sur les autres ; les classes mal éclairées, sans plafonds, sans boiseries, mal meublées, embarrassées par des colonnes qui supportent les poutres du plancher […] ; les murs sont salpêtrés et la peinture, qu’on y met deux fois par an s’écaille et ne dure pas […] ; les préaux des cours ne sont que des hangars exposés aux vents et à la pluie… » écrit Aristide Van Iseghem, l’architecte en charge du lycée, au proviseur le 7 janvier 1880, avant de conclure qu’il serait préférable de reconstruire l’établissement plutôt que de le rénover, ce qui coûterait de surcroît bien moins cher. On attend néanmoins, avant d’établir des avant-projets, que la ville fixe un projet d’alignement définitif, ce qui sera fait en août 1880. De plus, grâce à la création récente de la Caisse des lycées et collèges, qui accorde des subventions aux structures d’enseignement dont l’état nécessite une rénovation ou une reconstruction urgente, on peut considérer celle du Lycée de Nantes comme sérieusement envisageable. Il reste à établir quelle part de la dépense reviendra à l’Etat, quelle autre à la municipalité. Dans les mêmes temps, on acquiert en 1883 un terrain supplémentaire de 7600 mètres carrés. Cet achat était depuis deux ans considéré comme essentiel pour le nouveau lycée à construire : il permettra son extension au sud, au-delà de la rue Saint-François (à ne pas confondre avec la ruelle du même nom, perpendiculaire), que la ville serait de fait prête à supprimer. L’Etat, assuré de la bonne volonté de la municipalité assure qu’il prendra la charge du 3/5e de la dépense totale de la reconstruction. Ce n’est pas pour autant qu’on lance immédiatement les travaux : l’administration de l’établissement tient à obtenir auprès de l’architecte en chef de la ville, Antoine Demoget, chargé de l’établir, un plan qui soit le plus parfait possible. Ainsi, le proviseur, le directeur de l’enseignement secondaire et le maire échangent leurs avis, leurs suggestions sur les projets avancés, et transmettent ces remarques à l’architecte. Puis, la Commission des bâtiments des lycées et des collèges examine à son tour les projets. Ce n’est qu’en 1886, l’année même du lancement des travaux, que sont approuvés les plans définitifs. Pour ce qui est de la dépense totale, finalement estimée à 2 400 000 francs (dans les faits, la reconstruction coûtera 2 500 545 francs, dépassement moins élevé que celui qui avait été prévu), l’Etat revient sur ses promesses de départ et n’en prend plus la charge « que » de moitié, soit 1 200 000 francs, le reste revenant comme convenu à la municipalité.
Une reconstruction soignée pour un lycée fonctionnel.
La construction sera réalisée progressivement jusqu’en 1892, la mort successive des deux premiers architectes venant quelque peu bouleverser l’avancement des travaux. En effet, Demoget décède en juillet 1886, et est remplacé en octobre par Van Iseghem, qui disparaît à son tour le même mois de l’année suivante. Léon Lenoir, prenant la suite, opère quelques changements sur les installations prévues, dont le gymnase, prévu par Demoget sous la chapelle, emplacement que le nouvel architecte juge inadapté « pour la santé des élèves ». Lorsque l’établissement est inauguré, le 17 octobre 1892, le fameux gymnase n’est toujours pas construit, il faudra attendre un an avant que les travaux débutent, le bâtiment étant terminé en 1895. Le nouveau lycée, alors véritablement achevé, s’articule à partir de la Cour d’honneur, au nord, large rectangle divisé au sud en deux parties égales par le grand couloir qui longe à l’est la Grande Cour et à l’ouest la Cour du gymnase, l’impasse Saint François, avant d’aboutir à la chapelle et l’aile de l’infirmerie. La Grande Cour est elle-même divisée par des urinoirs en batteries en trois cours (l’une pour les petits, l’autre pour les moyens, la dernière pour les grands) de dimensions égales, chacune dotée d’un préau encadré d’études. Ce plan global suit les directives ministérielles de l’époque et les principes d’éducation alors usités : l’entrée du lycée est celle de la cour d’honneur, autour de laquelle sont placées les salles destinés aux externes (plus nombreux à Nantes que dans la plupart des autres lycées d’Etat), le reste étant réservé aux internes et leur pensionnat : on ne doit pas mélanger les deux régimes d’élèves, comme on ne doit pas mélanger les classes d’âge. On peut constater qu’à Nantes, la conception est particulièrement réussie de ce point de vue-là, et véritablement fonctionnelle. De même, l’administration est placée dans un endroit clairement visible de tous, donnant d’un côté sur la rue et de l’autre sur la cour d’honneur : l’aile de façade, longue de 142 mètres.
Cette dernière est harmonique, avec un jeu manifeste sur les volumes par l’utilisation de l’appareil à bossages au rez-de-chaussée et la saillie du pavillon central. Le décor est éclectique et présente habilement, sans surcharge, des éléments de style différents. D’une part l’entablement avec sa corniche, ses denticules caractéristiques au dessus du troisième niveau donne un touche classique ; d’autre part des éléments baroques y ajoutent de la fantaisie avec l’édicule adossé à la toiture en pente raide, habile modélisation d’une façade d’église revisitée, aux ailerons identiques à ceux de la chapelle de l’Oratoire située à proximité, mais agrémentée d’un cadran d’horloge. Une architrave et un fronton surbaissé à volutes avec les lettres « RF » en haut-relief surmontent les éléments précédents. Autre réminiscence baroque : les amortissements du pavillon central, qui prennent la forme de « pots à feu ».
Alors que le toit est plutôt en pente douce sur le reste des bâtiments, ceux des pavillons centraux au nord et au sud de la cour d’honneur sont volontairement pentus, et on les coiffe d’un lanternon, le tout formant de fait un beffroi. L’emploi de cette forme architecturale n’est pas anodin, le beffroi symbolisant (au départ dans les Flandres) l’espace municipal dès le Moyen-Âge. Le Lycée de Nantes demeure néanmoins l’un des seuls exemples d’établissements de cette époque, voire le seul, à s’orner d’un tel attribut, ce qui s’explique dans une ville où la concurrence entre enseignement public et enseignement privé est très forte. On a donc une mise en scène indéniable dans l’architecture de cette façade et des bâtiments entiers, une volonté manifeste d’impressionner ou du moins de forcer le respect par un aspect prestigieux (on remarquera le blason de la ville de Nantes ornant la plate-bande de l’ouverture centrale et la plaque « Lycée National », empreintes du pouvoir de l’Etat et de la municipalité). Cela explique d’ailleurs la relative petitesse du vestibule, qui crée de fait un contraste immédiat avec l’imposante Cour d’honneur.
La galerie de cette dernière est également digne d’attention, car elle intègre à l’ensemble de pierre une structure de métal et de verre. C’est au lycée Janson de Sailly à Paris, construit entre 1881 et 1884, et dont le gouvernement français voulait faire un exemple d’architecture scolaire, que l’on trouve le premier exemple d’une structure de ce type. Si l’on garde à Nantes les mêmes matériaux pour le même usage (le métal pour les éléments porteurs et le verre pour la couverture), on a considérablement simplifié les arcatures et le décor des piliers. On peut faire un second parallèle entre le lycée parisien et le nôtre : le grand couloir. Il est dans les deux cas l’artère principale de l’établissement, extrêmement lumineux grâce à de grandes baies trapues percées régulièrement pour éviter tout essoufflement de l’intensité lumineuse, le couloir mesurant tout de même près de 155 mètres de long à Clemenceau. Quant au gymnase, considéré à l’époque comme essentiel pour l’entretien de la santé des élèves, il offre ici un aspect plutôt proche de celui du lycée Voltaire à Paris, élevé entre 1885 et 1890 selon les plans d’Eugène Train. On finira cette description du Lycée de Nantes reconstruit par la chapelle, à l’architecture encore une fois de style éclectique : on opère un subtil mélange de formes romanes, sobres, et arcs doubleaux en plein cintres très saillants, avec des colonnes antiques aux chapiteaux composites (ordre ionique avec motifs floraux, croix chrétienne) et entablements. L’édifice, de plan simple à nef unique, possède un choeur voûté d’ogives tandis que les deux grandes travées principales sont pourvues d’un beau couvrement en plein-cintre à lunettes.
Du XIXe au XXIe siècle : des locaux à toute épreuve.
Rapidement, malgré ses nouveaux locaux, le lycée est trop petit pour le nombre croissant d’élèves. Se pose alors la question de l’achat d’un terrain pour construire une nouvelle aile. On peut heureusement faire l’acquisition auprès de Mr Gautier en 1904 d’un « immeuble contigu au lycée », à l’ouest du grand couloir. On y construit de 1906 à 1907 dans la même architecture que le reste des bâtiments précédents, un nouvelle aile (œuvre supplémentaire de Léon Lenoir) située perpendiculairement au grand couloir, et rattachée à ce dernier au niveau de la séparation entre la cour des petits, qui jouxte l’infirmerie, et celle des moyens. On surélèvera ensuite au milieu des années 1930 l’aile des réfectoires (l’actuel bâtiment « I », avec son couloir bordé de longs lavabos), afin d’abriter cinq nouvelles classes et une nouvelle lingerie, l’ancienne étant transformée en classes enfantines. Ce n’est qu’après la guerre qu’interviendront des changements notables dans la structure originelle. Le lycée Clemenceau sort alors du second conflit mondial endommagé par les bombardements nantais de septembre 1943 et de juin-juillet 1944 (aile gauche de la façade nord, infirmerie…) et dégradé par la construction de deux blockhaus dans la grande cour. La remise en état des locaux sera presque achevée en 1949 et trouvera son aboutissement au printemps 1950 par la destruction du premier blockhaus, qui provoque tant de désagréments qu’on reporte celle du second. On construira d’autre part afin de remplacer l’infirmerie le fameux bâtiment « B », dans le plus pur style de l’architecture fonctionnaliste et moderniste de la fin des années 1950. Autant dire qu’il subira, à l’instar de ses avatars des quartiers environnants et même de la France entière, une grande impopularité esthétique.
Il faudra une nouvelle fois attendre les années 1990 avant que l’on s’occupe des bâtiments de façon importante. En effet, la destruction du second blockhaus de la grande cour entre les vacances de Toussaint et de Noël 1992 permet alors d’envisager sérieusement l’édification le long de la rue Stanislas Baudry d’un self et d’un C.D.I. qui remplaceraient les anciens locaux, devenus inadaptés ou trop petits. Les architectes Yves Barbier et Pierre Saunier seront chargés de concevoir les nouvelles installations et prendront comme parti de respecter, entre autres, « l’esprit de l’implantation du bâti du Lycée le long des voies : principe du retrait de quelques mètres et plantations de cet espace libre », et de « proposer une architecture […] jouant sur la réflexion du Jardin des Plantes avec l’expression légère et transparente d’un serre avec son accompagnement végétal. » Ces nouvelles installations, dont un parking souterrain, sont inaugurées le 2 octobre 1995. Dans les mêmes temps aboutissent enfin les démarches engagées dès 1992 pour une rénovation du lycée dans le cadre d’une vaste opération régionale de remises à neuf ou de constructions d’établissements scolaires. Les architectes Jean-Marie Lepinay et Gilles Chabenès seront les maîtres d’œuvres des travaux – estimés à 24 400 000 euros nouveaux équipements inclus – qu’ils mèneront brillamment par tranches de juillet 1997 à septembre 2002, avec pour but de « rétablir les qualités d’origine du lycée et à valoriser les espaces extérieurs, dont l’aménagement des cours d’honneur et de récréation. Ce à quoi il faut ajouter [une réfection complète de toutes les façades en pierre de tuffeau] et [la construction de nouveaux bâtiments.] » En effet, le bâtiment B sera remplacé par de nouveaux locaux destinés aux sciences, et dont l’apparence extérieure, tout en gardant un fort ton moderniste, s’accorde mieux aux façades préexistantes. L’ensemble rénové, de l’intérieur (on conserve d’ailleurs, dans un souci de mémoire, certains éléments des anciennes installations, comme les lavabos dans l’ex-couloir des réfectoires) à l’extérieur, est inauguré solennellement le 7 avril 2003.