Né en 1877 : Alphonse de Châteaubriant


Livre du Bicentenaire (Coiffard, 2008)

200 ans d'histoire - copie

L’Anthologie

Auteur : Joël Barreau

 

 

 

Alphonse de Châteaubriant

 

 

Auteur de deux romans à succès, Monsieur des Lourdines, qui lui valut le prix Goncourt en 1911, et La Brière, paru en 1923, Alphonse de Châteaubriant, né à Rennes en 1877, fréquenta d’abord l’Externat des Enfants Nantais, quand ses parents se furent installés à Nantes, puis le Grand Lycée, à partir de la classe de troisième, de 1891 à 1898.

En 1894-1895, en classe de philosophie, où il fut le condisciple de Paul Ladmirault et Émile Laboureur, il eut pour professeur de philosophie Georges Cantecor, qui le fascina. Voici le portrait qu’il nous en a laissé dans un texte publié pour la première fois il y a quelques années :

 

L’apparition du professeur Georges Cantecor a été une date dans ma vie intérieure. L’attirance que je ressentais pour lui s’exerçait jusque dans la mobilité de ses mains intelligentes tandis que sa parole entraînait par une singulière combinaison d’enthousiasme et d’ironie. Nerveux avec finesse, impatient avec chaleur, il lui arrivait de pâlir à certains passages d’une lecture, et l’ascendant de cette émotion, qu’il ne cachait pas, nous mettait d’elle-même en sympathie avec le chef-d’œuvre. Ainsi fouettait-il les âmes en caressant les esprits.

Lorsque le premier jour je l’avais vu entrer dans notre classe, cambré dans sa jeunesse alerte, avec un sourire à peine entrouvert comme la fleur un peu hautaine d’une force consciente, et à la façon dont il nous avait enveloppés de ses yeux mi-clos, tout en tirant les doigts de ses gants clairs, je m’étais dit : tiens, il ne ressemble pas aux autres.

Il nous parlait avec passion des grandes figures de la littérature française. Il racontait et expliquait la vie de ces hommes qui tous avaient aimé la nature et s’étaient enfermés avec elle pour en tirer ses secrets. Grâce à lui, pour la première fois, je comprenais jusqu’où les mots devaient aller pour exprimer le cœur des choses, pourquoi, alors que j’étais familier des bosquets et des étangs, je n’avais pas, comme Ronsard, trouvé cette chose si simple, que les vieux jardins « sentent le sauvage » ; et je respirais cette phrase pleine de senteurs de fagots verts et de couches terreuses de feuilles mortes.

 

Fasciné par cet enseignement, Alphonse de Châteaubriant décide, une fois reçu au baccalauréat, de préparer au lycée le concours d’entrée à l’École Normale Supérieure section Lettres : à l’époque, cette préparation se faisait en redoublant, à titre de « vétéran », la classe de rhétorique, dite alors « rhétorique supérieure ».

 

Arriva l’année 1895. J’allais sur mes dix-huit ans. Le baccalauréat était derrière moi et, au Lycée de la ville, j’avais été reçu parmi les élèves de rhétorique supérieure où mon père, qui finissait par croire que je n’adopterais jamais le métier des armes, avait enfin consenti à m’inscrire, à son corps défendant.

 

Mais, un an plus tard, un chagrin d’amour le fit changer d’orientation ! ! ! Voici comment : passionnément amoureux de la fille d’un membre de l’intendance, mademoiselle de B., qui venait chaque soir attendre son père sous la véranda de la conciergerie, il apprend un jour son mariage avec un officier :

 

Elle épousait un officier. Je ne la vis plus sous la véranda de la conciergerie et, pendant les derniers mois de l’année, mon travail, poursuivi avec acharnement, resta entaché d’un grand fond de tristesse.

Le jour de la distribution des prix, la tente qui avait été dressée dans la cour du lycée ondulait mollement sous un chaud soleil de juillet. Les élèves gagnaient leurs gradins entre un double parterre de toilettes d’été. L’orchestre militaire ouvrit une marche et l’estrade se peupla de robes universitaires et d’habits chamarrés. Alors, dans la foule en fleurs, j’aperçus une jeune femme dont la voilette noyait d’azur son visage et son sourire. Près d’elle, enchâssé dans les dorures de son uniforme, un officier de belle allure lui désignait, du bout de son gant blanc, le jeune de B… sur les gradins.

L’appel des lauréats commença. Je fus nommé aussitôt car je recevais le prix d’honneur de rhétorique supérieure. J’allais chercher mon prix dans le tumulte de la musique et des applaudissements. J’étais revenu à ma place quand quelques mains battaient encore. Le rouge me monta au visage : mademoiselle de B… applaudissait en me regardant.

A la maison où mon père, qui avait préféré ne pas assister à la fête, m’attendait dans son atelier, je fus accueilli avec affection.

– Ce n’est pas, tu le sais, ce que j’aurais souhaité pour toi, pourtant c’est très bien, me dit-il…. Mais qu’y a-t-il donc dans tes yeux, comme ils brillent ? !

– Il y a, père, une volonté, une décision.

– Une décision ?

Et, devant le visage ébahi de mon père, je déclarai :

– Oui, père, je veux devenir officier.

 

Et c’est ainsi qu’Alphonse de Châteaubriant, changeant d’orientation, prépara pendant deux ans au lycée le concours d’entrée à Saint-Cyr, mais sans vraie conviction, en tout cas sans succès.

Dans Les Pas ont chanté, texte autobiographique paru en 1930, il évoque, entre autres souvenirs de jeunesse, cette période de sa vie au lycée, ou, plus précisément, le moment de l’année où, après les résultats de l’écrit, les professeurs préparaient à l’oral de Saint-Cyr les admissibles :

 

A dix heures j’allais en étude avec les autres, jusqu’à midi, partageant mon temps entre des lectures de mon choix et le rêve.

En ce coin, que visitait de temps en temps un doux rayon de soleil, j’avais la conscience enivrée d’un je ne sais quoi de voluptueusement éternel, qui allait de tous mes compagnons à moi-même, et nous unissait tous, y compris le professeur, dans la même douce prise de l’instant.

Après les premiers concours pour l’entrée à l’école de Saint-Cyr, j’étais bien loin d’être digne d’occuper quelque place derrière le dernier élève admissible. Je n’en avais pas moins été condamné à suivre quand même les cours. Mais le professeur, occupé de ses candidats sérieux, n’éprouvait aucune tentation de prendre en considération ma présence : on me laissait dans mon coin.

Ce que j’attendais, c’était exactement la cloche de midi, la cloche du déjeuner… et cela, à cause de ce qui venait ensuite.

Après le déjeuner, les élèves se rendaient dans la cour pour la récréation, et je commençais par suivre le cortège ; quand, soudain, à un endroit que je m’étais fixé à l’avance, je quittais le rang et me faufilais le long d’un couloir latéral.

On n’avait rien vu : ou si quelqu’un avait vu, nul ne disait mot !

On ne sait vraiment pas, les maîtres comme les élèves, ce que je fais dans ce Lycée, où personne n’attend rien de moi. Si l’on y constate ma présence, comme je ne gêne quiconque, on me tolère ; si je manque, qui voulez-vous qui en souffre ? J’enfile donc paisiblement le vestibule et retrouve dans le coin où je l’ai hardiment déposée le matin, avec la science certaine que je la pourrais sans nulle faute reprendre à la même place (que cette certitude ne se soit pas trouvée une seule fois démentie me laisse aujourd’hui stupéfait, mais cette époque était l’époque des enchantements), et je retrouve donc, dis-je, dans le coin où je l’ai le matin déposée, ma canne.

Oui, ma canne !… ma canne !… tout simplement, ma canne !

Mais, se demande-t-on, comment cette canne, exposée dans ce coin en vue, dans cet angle de corridor qui menait à nombre d’appartements habités et sans cesse parcourus, n’attira-t-elle jamais l’attention, ou, du moins, ne fit-elle jamais l’objet d’un enquête, d’une recherche, et fut-elle ainsi respectueusement et tranquillement laissée à sa fausse place ?

Je crois que la réponse est simple ; et même, je me demande aujourd’hui, si, alors, dans mon inconscient, comme l’on dit, je ne calculais pas avec la probabilité de l’interprétation qui serait donnée à cette présence, dans ce coin en vue et dans la pleine lumière ; car, en vérité, qui aurait eu l’idée un million de fois cornue et biscornue, d’aller supposer que cette canne avait été là crûment déposée par un élève ? Oui ! J’ai toujours pensé depuis que les maîtres d’étude passant, le surveillant général passant, le censeur passant, les garçons de salles, ou de réfectoire, ou de dortoir passant, chacun, avec son coup d’œil particulier sur cette canne, s’était dit en lui-même « Il n’y a qu’un homme ici qui soit assez chez lui pour déposer sa canne dans ce coin, et c’est M. le Proviseur ».

Ayant donc saisi ma canne, un solide bambou d’un exotique jaune d’or, je ne revenais pas parmi les élèves, mais descendais posément un escalier par lequel on accédait en d’obscurs dégagements de service. Une cour : je la traversais, dans la direction d’un grand portail toujours ouvert ; et me voici dehors, et tout cela très tranquillement, et le plus naturellement du monde.

 

 

– Sur la vie et l’œuvre d’Alphonse de Châteaubriant, voir sur « Julien / Biographies » la notice qui lui est consacrée.