DEGUY Michel


Michel DEGUY

 

(1930-2022)

 

Professeur au Lycée

 

Poète

 

 

Article signé

 

Elodie Maurot

 

La Croix, 18 février 2022

 

Mort de Michel Deguy, poète au ras des choses

Portrait 

Poète et philosophe, fondateur de la revue Po & sie, Michel Deguy est mort le 16 février à 91 ans. Observant avec méfiance la révolution numérique, il défendait « le lien entre le penser, le parler et l’écrit ».

Au royaume des poètes, certains sont des aristocrates. Auteurs reconnus, ils ont la lourde charge d’être responsables des mots, sans s’abriter derrière le mythe du poète maudit. Michel Deguy, décédé le 16 février à 91 ans, fut de ceux-là. Figure du milieu littéraire, célébré, récompensé (grand prix national de la poésie en 1989, grand prix de poésie de l’Académie française en 2004, prix Goncourt de la poésie en 2020), il sut maintenir vive la source des mots, à travers les haies d’honneur et les inévitables mondanités.

Un proche de Jacques Derrida

Poète, mais aussi philosophe, critique littéraire, éditeur et traducteur, Michel Deguy aimait jouer de tous les miroitements de l’écriture, accordant une place privilégiée au poème, seul capable de se tenir au ras des choses, de capter le terrestre, d’éviter les risques de la théorie et de l’abstraction. « Un poème ne s’achève dans aucun savoir », disait-il, tout en affirmant : « La poésie est pensive. »

Né en 1930 à Paris, brillant élève au lycée Louis-le-Grand, agrégé de philosophie en 1953, Michel Deguy est d’abord professeur dans le secondaire puis rejoint en 1968 la nouvelle université de Vincennes, où il enseigne la littérature française jusqu’à sa retraite. Publié chez Gallimard dès la fin des années 1950, il devient membre du comité de lecture de la maison d’édition en 1962, avant d’en être écarté en 1987. En 1977, il fonde la revue Po & sie, chez Belin, vite reconnue comme une publication majeure dans le domaine poétique. Proche de Jacques Derrida, il préside de 1989 à 1992 le Collège international de philosophie.

« Les événements sont nos maîtres »

« Le poème est toujours de circonstance », aimait répéter Michel Deguy, qui ne se séparait jamais de ses petits carnets, filets à papillon des premières ébauches, accueillies dans « le déchiqueté de l’emploi du temps ». « La circonstance est le mot qui me convient, la manière dont le vivre est soulevé à chaque instant de questions ou d’émotions ou d’observations ou d’étonnements ou de réflexions. Tout ce mouvement appartient à la circonstance. Les événements sont nos maîtres, comme disait Pascal. »

Plus d’une cinquantaine de livres sont nés de cette manière d’être aux aguets, dont Tombeau de Du Bellay (1973), Gisants (1985), Spleen de Paris (2000), Desolatio (2007). Dans l’un de ses ultimes textes, le philosophe Jean-Luc Nancy, décédé en 2021, avait célébré le style de son ami (1) : « Il s’exclame, il proclame, il acclame, il déclame, il réclame. (…) Il écrit comme il parle. Il y a chez lui un rapprochement (une feuillure) de la voix bondissante au stylo vibrant, barrant, griffant la feuille. (…) C’est un jet recommencé de survenues, une effervescence féconde. »

Une colère vigilante

Si la vie empoignait Michel Deguy, une colère bouillonnait aussi dans ses écrits, née de la marginalisation contemporaine de la parole, de l’imaginaire et du sens. « Avec la révolution numérique en cours, peut-être risquons-nous de quitter le logos ? Or ce qui est constitutif pour la poésie, c’est le lien entre le penser, le parler et l’écrit. C’est peut-être la littérature en entier qui est menacée dans cette mutation », s’inquiétait-il.

Sans se laisser écraser par ce sombre pressentiment, il y répondait par une vigilance. Contre le spectacle du culturel, la poésie était pour lui « un filet-réseau de possibles tendus au-dessus du monde » et un chemin de méditation écologique, embrassant la vraie vie, faite de lieux, de temps et de liens.

(1) « Vie subite », Critique, 2021/4, n° 887.

 

Michel Deguy nous avait confié ses souvenirs du Lycée.

Voir à l’onglet Julien / Anthologie